"Décennie noire": Hommage à Saïd Mekbel, victime de la barbarie…
Vendredi 29 sept 2023 (S.-Y)-Le journaliste chroniqueur Saïd Mekbel, connu sous le pseudonyme Mesmmar Djeha, fondateur du journal le Matin, est abattu le 4 décembre 1994, alors qu’il venait d’écrire son dernier article.
Extrait (*) en hommage à sa mémoire.
«Il faut que je dise certaines choses aux terroristes. Tout d’abord qu’ils ne facilitent pas mon travail. Du tout , du tout. Mon travail est déjà si compliqué sans eux. Chaque jour que Dieu fait, je dois me torturer le cerveau pour écrire une chronique quotidienne, trouver un sujet plaisant, lui donner cette tournure légère et spirituelle que les lecteurs attendent de moi comme si me suffisait d’ouvrir un terroir pour la trouver…
Bref, je vis un calvaire quotidien si pénible que je me demande comment les terroristes peuvent l’ignorer. N’ont-ils donc pas d’humoristes dans leurs rangs qui puissent comprendre les souffrances d’un confrère ?
Les ruses de Sioux…
Tenez, par exemple, ceci : en deux occasions on a tiré sur moi plusieurs coups de feu. A cette allure, ils vont finir par me tuer, n’est-ce pas ?Et cela il faut que je le fasse savoir aux terroristes, leur dire que leur petit jeu est mortel. Peut-être ignorent-ils que les balles de leurs revolvers peuvent faire du mal et tuer?
Et cette autre chose encore : quand il faut jouer des ruses de Sioux pour déjouer la surveillance des indicateurs des terroristes qui espionnent mes habitudes pour leur compte. Quand, par exemple, brouiller les pistes, je marchais à reculons vers la maison pour faire croire que j’en sors, ou inversement pour faire croire que je rentre.
Je ne sais pas si ma ruse réussit à tromper l’ennemi, mais je sais en revanche que mon comportement bizarre a attiré l’attention des voisins , qui ont conseillé à ma femme de me faire examiner par un psychiatre. Il faut que je vous dise que, souvent, à ces petits jeux de Sioux, je perds vraiment la boussole, ne sachant plus par moment si je suis entrain de rentrer à la maison en faisant croire que je sors ou si je pratique la tactique inverse.
Je suis devenu méconnaissable…
Et il y a cette chose que je voudrais que les terroristes sachent. Sur les conseils d’amis soucieux de ma sécurité, j’ai modifié mon apparence physique en y changeant quelques détails. Je me suis rasé les moustaches, coupé très court les cheveux, j’ai remplacé mes lunettes par des verres de contacts.
Si vous voyiez l’effet, je suis simplement devenu méconnaissable . Au point de pouvoir passer sans risque entre deux rangées de terroristes.
ET, dans la rue, personne ne me reconnait plus, plus de signes amicaux, de mots gentils. Plus rien. J’ai vraiment l’impression d’avoir disparu, d’être mort. Et parfois ce sentiment est si intense et si fort que j’ouvre le journal pour voir si on n’y annonce pas mon assassinat.»
(*): Télérama H-S Mars 1995
Légende
Saïd mekbel
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