Pensée: Comme toutes les mères, tu étais Mère...
CPMC, 3 novembre 1990 (Alger)- La guerre (du 1er novembre 1954), encore elle, avait déjà fait son œuvre en toi, en t’ôtant lâchement, très jeune, l'être cher*. Comme tant d’autres de ton sort. Mais tu allais droit sur la route de la dignité en faisant ce noble choix d'éduquer et de faire grandir tes enfants comme le voulurent les exigences d'une Bonne mère de famille, dans un village, au sein d'une génération de femmes dont les noms évoquent bravoure et dévouement.
Taddert, la citadelle aux quatre vents, branchée sur le mont de Tamgut, véritable repère-Météo pour les Ouféléens, a choisi de nicher autour des cimes,blanchies de neiges éternelles, au milieu de figuiers, d'amandiers et de cerisiers. A leur pied, des massifs de menthe sauvage,appelée autrefois la "verveine de l'été," (Tah-cict unvdu). Dans cette kabyle belle, meurtrie et éternelle rebelle.
Pour faire face aux "flocons" de la misère des instants lourds, tu tissais comme feu Feraoun,lâchement assassiné par la triste célèbre OAS,tricotais et accomplissais les travaux des champs,à toutes saisons. Les"corvées d’eau", puisée d’une fontaine,vieille comme le temps, furent,paradoxalement,d'agréables moment de détente et de liberté dans cet espace public dédié à la gente féminine. Cette eau minérale venant des entrailles du Djurdjura, après avoir parcouru des centaines de kilomètres, à bien marqué son temps et rassasier des gosiers. On s'abreuvait et on cuisinait avec.
De l'ingratitude des hommes à l'injure du temps...
De tes œuvres, tirées du génie kabyle, nous avions gardé longtemps, Maman, des tabliers et sacs, en tissu, d’école (le cartable étant un luxe), des valeurs qui font l'Humain, des gans et chaussettes en laine pour affronter le rude hiver, des pulls de toute couleur, "glanés" sur le dos des inconsolables moutons éphémères, de l’affection sans cesse renouvelée pour compenser celle des l’être cher. Taddert vivait son temps, au Bonheur de ses Dames au cœur généreux, à l'âme sobre et paisible.
*L'être cher...Lui qui, un jour de la tourmente d'une Algérie, rendue aux siens, après de suprêmes sacrifices, a offert «ses yeux pour que les autres voient »,dixit le poète Lounis, l’invincible, le regard pointé sur l'œil de bœuf de l’intérieur de son toit, dans l'emblématique chanson «Vieille, regarde qui vient!» ou «Walikan widi ruhen…qui tape à la porte!». Émouvant hommage du poète à nos valeureux martyrs. C'est aussi le 1er novembre! coïncidence du calendrier! C'est encore un autre 3 novembre, neuf ans plus tard, maudit mois...
J'allais avec toi...
Un jour, du temps où la rue d'en bas évitait de rencontrer la rue d'en-haut, je t’accompagnais à Fort-National pour percevoir ta piètre pension trimestrielle de veuve de Chahid. Nous faisions comme de coutume, escale chez ma tante Nna Ourdia, épouse de feu Mokrane Allache où nous avions pour habitude de trouver refuge et chaleur familiale.Nostalgie des jours heureux au sein d'une Famille réglée comme une horloge aux valeurs de l'Humain.
Dda Ramdane, véritable pilier d'une ossature de chêne, qui te vouait respect et considération, se chargeait chaque fois, sur ta procuration, de te retirer cette pension de la Poste où il finit une carrière en toute beauté. Nous étions les hôtes à déjeuner, au sein de cette deuxième famille qui a marqué notre enfance tant Dda Ramdane et sa famille furent une référence pour tous, en termes de valeurs, de droiture et d’humilité.
Émotion! Son passage aux Postes et télécommunications de Larbaa-Nath-Irathen, n’est pas sans marquer les esprits avides d’un homme hors pair, imbu d’une haute culture de service public. Il était apprécié de tous pour son abnégation et son dévouement pour les autres.
Á toutes les mères du village ...
Á toutes les mères de Taddert, et à toutes celles que nous avions perdues, vous aviez su tiré notre existence de l'oubli en toute sagesse et humilité. J'invite les jeunes à immortaliser leur mémoire et continuer le bon chemin qu'elles nous ont tracé.
Il y a 27 ans, tu partais, Maman, portée par des milliers de bras et des cœurs meurtris vers l'éternelle demeure, dans un indescriptible déchirement des tiens, sur la route du non-retour. Nous revoyons à jamais ton souvenir et vivons des fruits de ton devoir accompli. Notre gratitude! Récemment encore, sont venues te rejoindre trois de tes très bonnes amies, à savoir: Nna Aldjia Atha3mar,Nna Chavha Ath3av el kadhar et Nna Ferroudja, épouse Bélaidi Belkacem. J'évoquais ici aussi leur mémoire en respect et dignité.
Pensée éternelle de tes enfants
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