Opinion: La mort absurde des démocrates algériens, selon Georges Brassens !
Mercredi 9 juin 2021 (Syat)- Je reproduis ici le texte intégral de M.Saïd Doumaine, transmis par notre ami Ali Mammeri, intitulé "La mort absurde des démocrates algérien, selon Georges Brassens !". Il sagit d'un "hommage appuyé au journaliste-écrivain Tahar Djaout et les siens".
"De nombreux démocrates algériens vont à Canossa, convaincus que leurs idées sont irréversibles. Et surtout que celles-ci auraient pour vocation philosophique et politique à absorber et diluer les idées des autres, y compris celles des plus antinomiques à leur vision. On voudrait bien les croire. Sauf qu’en :
"Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure
Allons vers l’autre monde en flânant en chemin
Car à forcer l’allure il arrive qu’on meure
Pour des idées n’ayant plus cours le lendemain".
Cette 2ème strophe d’un des célèbres poèmes de Georges Brassens est, on ne peut plus poétiquement, significative : on croit mourir pour ses idées, de mort lente certes, alors qu’on s’affaire à creuser sa tombe assez vite, en préparant le lit aux idées et aux projets des autres. C’est l’engagement sacrificiel !
Les démocrates algériens ont décidément le sens du sacrifice. Parce que leurs ennemis d’hier-et d’aujourd’hui- ont laissé la vie sauve à quelques uns, ils sont prêts à s’engager sous leur férule, comme pour les remercier de leur mansuétude. Comme dans les contes des mille et une nuits, ils s’inventent de nouvelles légendes pour avoir la vie sauve au bout de chaque aube qui pointe.
"Or s’il est une chose amère, désolante
En rendant l’âme à Dieu, c’est bien de constater
Qu’on a fait fausse route, qu’on s’est trompé d’idées
Mourons pour des idées, d’accord mais de mort lente".
Oui, en tentant d’amadouer les décrets de nos bourreaux, ce ne sont que des spectres affirmons-nous pour nous rassurer, nous nous préparons à une morte lente. Si nous avons échappé à l’hécatombe des années 1990, celle en cours ou à venir, s’annoncerait plus douce car elle n’est ou ne serait que politique.
L’avènement de l’islam politique en lieu et place de l’islam guerrier et sanguinaire s’est déjà échafaudé sous les auspices de la" réconciliation nationale" avant de se réaliser sous les heurs de la " Nouvelle Algérie". L’histoire est implacable quand elle se nourrit de nos erreurs !
" Les Saint Jean bouche d’or qui prêchent le martyre
Le plus souvent d’ailleurs, s’attardent ici bas
Mourir pour des idées, c’est le cas de le dire
C’est leur raison de vivre, ils ne s’en privent pas".
En sortant des maquis, les islamistes ont négocié avantageusement le partage du pouvoir : garder main basse sur les " âmes" en s’octroyant l’école, la mosquée, la culture, les médias…, tout en améliorant leur part de la rente matérielle et financière (butin de guerre, prêts bancaires, négoce national et international, secteur informel…
"Encore s’il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu’enfin tout changeât, qu’enfin tout s’arrangeât
Depuis tant de grands soirs que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l’âge d’or sans cesse est remis aux calendes
Les Dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez
Et c’est la mort, la mort toujours recommencée"
C’est le syndrome de Stockholm à la sauce algérienne ; on efface tout et on recommence. Magnanimes, les victimes d’hier offrent l’avenir de leurs enfants en guise de récompense à l’oubli. Ils voudraient presque s’excuser d’avoir osé la résistance. Tahar Djaout, lui, a vu venir ; il nous a pourtant prévenus sur l’horreur à venir. Mais qui l’a écouté ? Qui l’a compris le Brassens algérien ?
"Je suis le déterreur de l’histoire insoumise et de ses squelettes irascibles enfouis dans vos temples dévastateurs. Je ne cautionnerais jamais vos cieux incléments où l’anathème tient lieu de crédo. Je ne cautionnerais jamais la peur mitonnée de vos prêtres-bandits des grands chemins qui ont usurpé les auréoles d’anges. Je me tiendrais hors de portée de votre bénédiction qui tue, vous pour qui l’horizon est une porte clouée, vous dont les regards éteignent les foyers d’espoir ".
Pour Tahar et les siens (Tigziri, Boucebci, Matoub, Ouahioune, Bengana…), il semble que l’on doive encore nous abreuver à leur "anza " ou voix d’outre-tombe pour nous rappeler à nos devoirs de survivants. Puisque leurs assassinats n’évoquent guère plus qu’une date-anniversaire, leurs combats un élan, peut-être un caprice de jeunesse…Si Abane et Ben M’hidi nous étaient contés, Djaout et les siens nous auraient servi de phares au milieu de la tempête. Mais l’histoire, dit-on, se répète ou bégaie selon les circonstances, se jouant de nos idées :
"Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour ses idées, c’est beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir avec leur gros drapeau
Le sage en hésitant tourne autour du tombeau"
La défaite dans les esprits, la victoire dans le verbe, on croit avoir domestiqué la bête, on ne nous tranchera plus la gorge, pas même une balle dans la tête. La promesse sera tenue jusqu’au…prochain massacre. Mais on ne perd rien pour attendre, puisque destiné à une morte plus lente et des …houris en guise de récompense.
"Car enfin la camarde est assez vigilante
Elle n’a pas besoin qu’on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente"
Et si l’histoire, pour une fois, nous éclaire de ses mille feux et si pour une fois on dise de vive voix et tous ensemble : allez prêcher ailleurs, nous avons trop bu vos boniments, vos vérités ont fait verser trop de sang… Votre ennemi du moment, que vous appelez junte militaire, est votre allié d’hier et de demain.
Et là au moins l’histoire n’a guère de démenti : les despotes, comme les larrons en foire, savent toujours se retrouver au détriment des hommes libres. Et c’est en cela que les démocrates algériens se fourvoient, en croyant avoir trouvé un allié de circonstance. Les dindons de la farce ou les boucs émissaires d’une saint alliance militaro-théocratique !
"Ô vous les boutefeux, Ô vous les bons apôtres
Mourrez donc les premiers nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu, laissez vivre les autres
La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas"
NB : Ai-je le droit d’user du verbe de Georges Brassens pour tenter de lire dans les écheveaux de la mélasse algérienne ? En tout cas, je m’en suis donné la liberté, sachant que la poésie, par nature et pas définition, est réfractaire à toute entrave à la liberté d’expression. Combien de poètes sont morts, égorgés, trucidés ou pendus pour avoir décliné un poème en défaveur des maîtres du moment ?
Il en existe aussi des thuriféraires mais Georges Brassens n’était pas de ceux-là, loin s’en faut. Doté d’une culture littéraire et philosophique de grande facture, Georges Brassens puisait son verbe dans les tréfonds de l’âme humaine, se tenant à distance des dogmes et des doctrines établis ; il méprisait les convenances et les vérités servies à la sauce des pouvoirs.
D’où ses tendances libertaires et anticléricales : en ce sens, il était français, italien, algérien et…citoyen du monde. Parce qu’il se piquait aussi de poésie, Tahar Djaout était un peu comme cela. Saïd Doumaine -Tizi-Ouzou le 06-07 juin 2021
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